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samedi 26 mars 2011

[Billet] Le mécanisme européen de stabilité pour les nuls

Le Parlement vient d'accepter le projet
de modification du traité sur le
fonctionnement de l'union européenne
concernant le Mécanisme Européen
de Stabilité (MES)
ATTENTION : Cet article a été écrit en Mars 2011 et ne parle pas du traité MES signé définitivement en février 2012 ! A l'époque, le MES n'était pas un traité mais une notion désignant l'ensemble du dispositif d'aide aux Etats en difficulté (MESF, FESF, FMI etc.). Bonne lecture :

Vous avez sans doute entendu parler d'une modification à venir du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE dans le jargon). 

Et au final, personne, je parle de la société civile, ne comprend réellement de quoi l'on parle et ce qui est en question, moi non plus d'ailleurs. Alors pour comprendre de quoi il s'agit, quand on parle de Mécanisme Européen de Stabilité, il faut reprendre l'histoire depuis le début, en prenant par exemple un cas concret comme l'Irlande. Le lecteur doit être informé du fait que je ne suis pas juriste.

Cet article s'attardera sur ce que recouvre la notion de MES (Mécanisme Européen de Stabilité), en expliquant les deux piliers sur lequel il repose : le Mécanisme Européen de Stabilité Financière (MESF) et le Fonds Européen de Stabilité Financiière (FESF).

L'aide à l'Irlande

C'est à partir de là que nous commencerons nos recherches. 

Le Conseil de l'Union Européenne, à ne pas confondre
avec le Conseil Européen ou le Conseil de l'Europe
réunit les ministres des 27 dans un certain domaine.
Lorsqu'il s'agit des 27 ministres des économies et finances
on nomme ce conseil "ECOFIN"
Le 28 Novembre 2010, les membres de l'Eurogroup et du conseil ECOFIN (les ministres de l'économie des 27 états) ont décidé d'aider l'Irlande en réponse à sa requête le 22 Novembre 2010, et en soutenant que cela garantirait la stabilité financière de la zone euro et de l'Union Européenne dans son ensemble (1)

Le Conseil explique la manière dont se passeront les choses, notamment le fait que tout cela sera basé sur le Mécanisme Européen de Stabilité (ça tombe bien, c'est ce que nous cherchons à étudier), et précise les institutions suivantes : le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), le Mécanisme Européen de Stabilité Financière (MESF, à ne pas comprendre avec MES, le Mécanisme Européen de Stabilité) et le Fonds Monétaire International.

Les ministres exposent donc la manière avec laquelle ils vont sauver l'Irlande : En accord avec la Commission, la BCE, et le FMI, les ministres sont unanimes pour un programme de financement et d'ajustements structurels accepté le jour même par l'Irlande, dont le montant atteint 85 milliards d'euros, prévoyant :
  • Une aide urgente et globale pour le secteur bancaire;
  • Un ajustement fiscal et une correction du déficit excessif pour 2015;
  • Des réformes favorisant la croissances, "en particulier en ce qui concerne le marché du travail", pour permettre le retour de la croissance;

Le paquet financier décidé se décline en 10 milliards d'euro pour les recapitalisations des banques en faillite, 25 milliards d'euros pour l'aide au secteur bancaire en difficulté, 50 milliards d'euros pour les besoins budgétaires de l'Irlande. Celle-ci contribuera pour 17,5 milliards d'euros à ce plan. La déclaration commune des ministres de l'Union Européenne donne aussi les parts de chacun :
  • Irlande : 17,5M€;
  • FMI : 22,5M€;
  • MESF : 22.5M€;
  • FESF (+ les prêts du Royaume Uni, du Danemark et de la Suède) : 22.5M€;

On constate donc qu'un tiers de ce programme est pris en charge par le FMI, les deux autres tiers seront pris en charge par des institutions ou états européens. Mais, que sont les institutions que nous venons de voir ? MESF et FESF ? Comment cela fonctionne-t-il ?

Le Fonds Européen de Stabilité Financière et le Mécanisme Européen de Stabilité Financière

Pour comprendre ce que sont ces institutions, nous devons retourner en mai 2010 et lire les déclarations du Conseil des chefs d'états, ainsi que le règlement adopté dans la foulée (2). C'est le 9 mai 2010 que la Commission Européenne confie au Conseil une proposition de règlement, permettant d'établir un mécanisme européen de stabilité. 

Le Mécanisme Européen de Stabilité Financière :

La commission pourra emprunter

sur les marchés
pour venir en aide aux états
en difficulté.
C'est l'émanation institutionnelle de l'article 122, paragraphe 2, du TFUE. Celui-ci prévoit que l'Union Européenne peut aider un état en difficulté pour cause de catastrophe naturelle ou de circonstances exceptionnelles. Il est donc clairement une instrument communautaire placé sous l'égide du traité.
N'ayant jamais été utilisé, cet article n'était que purement théorique et n'avait aucune extension réelle. Le Conseil a donc décidé de mettre forme à cet article (via le règlement n° 407/2010 (3)) et ainsi naquit le fameux mécanisme. 

Ce mécanisme prévoit une procédure pour les états membres en difficulté et qui ont besoin d'une aide. L'état peut formuler une demande, et sur la base d'un programme négocié avec la Commission et la BCE. Le Conseil peut décider de donner son accord pour le programme présenté tout en fixant les conditions. 

Une fois que l'accord est trouvé, la Commission peut emprunter sur les marchés et prêter à l'état en difficulté. Comme c'est le budget communautaire (le budget de l'Union Européenne) qui garanti la solvabilité de la Commission, celle-ci ne peut pas emprunter énormément d'argent sur les marchés. Le Conseil déclare que le MESF dispose d'un montant de 60 milliards d'euros venant du budget communautaire et de 30 milliards d'euros garantis par le FMI.

Encore une fois : Le MESF n'est pas le MES, il en est une partie, un des piliers de ce même MES.

Connaissant le contexte de panique des marché, le Conseil veut pourtant un mécanisme qui aille jusqu'à 500 milliards d'Euros.

Le Fonds Européen de Stabilité Financière :
L'EFSF est l'entité ad hoc créée par le Conseil
sous la forme d'une SA basée au Luxembourg.
Elle a été notée AAA par les principales agences
de notation dès Janvier 2011
 et peut donc
emprunter à des taux avantageux
Ceci n'a plus rien à voir avec les traités européens. C'est une décision purement intergouvernementale. Elle consiste à ce que les états membres, étant disposés à participer au mécanisme à hauteur de 440 milliards d'euros, puisse le faire via une "entité ad hoc" (voir communiqué de presse). 

Cette entité ad hoc devient dans la réalité le FESF, une société anonyme basée au Luxembourg (4). Son fonctionnement est similaire : C'est une entité qui dispose de garanties des états à hauteur de 440 milliards d'euros. 
Les marchés la considère donc comme solvable, et lui autorise des prêts tout à fait honnêtes. Celle-ci peut donc emprunter aux marchés, prêter à l'état bénéficiaire, et quand celui-ci la rembourse, elle rembourse les marchés, et tout le monde est content. 

Le FMI, lui, y participe à hauteur de 220 milliards d'euros, soit une garantie totale de 660 milliards d'euros.

Les marchés et les agences, considérant que ce fonds est très solvable, lui ont accordé la note de AAA en Janvier et Février 2011.

Conclusion 1 : Le mécanisme mis en place par le Conseil appelé Mécanisme Européen de Stabilité (MES) se base sur deux volets :

  • Le Mécanisme Européen de Stabilité Financière (MESF) issu de l'article 122, paragraphe 2 du TFUE et donc tout à fait une institution communautaire, celui-ci est pourvu d'une garantie de 60 milliards d'euros de la part du budget de l'Union Européenne, et de 30 milliards d'euros de la part du FMI.
  • Le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), qui repose sur un accord entre gouvernements, et ne dépend donc pas des institutions communautaires, sauf pour ce qui est, bien sur, de la Commission et de la BCE. Il est pourvu d'une garantie totale de 660 milliards d'euros.
  • Ces deux institution n'ont pas d'argent, et ne prêtent pas l'argent des états, même si c'est ce que l'on peut entendre quelques fois : Ils sont simplement garantis par les états ou l'UE, c'est à dire qu'ils peuvent emprunter sur les marchés à hauteur d'un certain montant. Nous verrons ce mécanisme un peu plus loin.

Comprendre le cas de l'Irlande avec nos nouvelles connaissances
Nous avons vu les différentes parts de chacun dans l'aide à l'Irlande :
  • Irlande : 17,5M€;
  • FMI : 22,5M€;
  • MESF : 22.5M€;
  • FESF (+ les prêts du Royaume Uni, du Danemark et de la Suède) : 22.5M€;

On sait donc maintenant que le FMI va verser 22,5M€, le MESF, garanti par le "budget fédéral", 22.5M€, et pareil pour le FESF, garanti, lui, directement par les états. Un tiers donc d'aide externe, un tiers d'aide "fédérale" et un tiers d'aide internationale. Les prêts seront tous fait selon les modalités et les règles du FMI.

Conclusion 2 : Dans l'ensemble, le Mécanisme Européen de Stabilité est un cocktail de mesures communautaires, intergouvernementales, et externes (FMI). A chaque fois, il s'agit  d'une entité (la Commission pour le MESF et le FESF créé par le Conseil) qui emprunte sur les marchés à taux corrects et prête à l'état en difficulté en échange de réformes structurelles, en accord avec le FMI bien sur, qui participe au FESF.

La modification du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne


Le Conseil Européen (représentant
les chefs d'états membres propose
une modification du TFUE pour
pérenniser le MES. 
C'est le 20 Décembre 2010 que le Conseil, conformément à l'article 48, paragraphe 6 du traité de l'Union Européenne (TUE, à ne pas confondre avec le TFUE), propose son projet de modification du TFUE (5). Il n'est finalement pas si explosif que cela. Il propose simplement d'ajouter un paragraphe à l'article 136 du TFUE : 
"Les Etats membres dont la monnaie est l'euro peuvent instituer un mécanisme de stabilité qui sera activé si cela est indispensable pour préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble. L’octroi au titre du mécanisme de toute assistance financière nécessaire, sera subordonné à une stricte conditionnalité."
Comme la procédure de modification du traité demande à ce que le parlement donne un avis (sans que cela n'ait d'impact), les parlementaires ont du plancher sur la question pour dire s'ils étaient d'accord ou pas. C'est donc dès le 14 Février 2011 que la Commission des affaires économiques et monétaires s'est penché sur une proposition de résolution et demande à ce que certaines parties soit modifiées. Dès le départ, cette proposition de résolution explique que le Parlement a besoin de nouveaux éléments pour donner un avis favorable à la modification du TFUE. 

La presse européenne s'est donc mise à s'interroger sur l'avis favorable ou pas que donnerait le Parlement, allait-il voter cette résolution telle quelle et donc retarder la mise en oeuvre de la procédure simplifiée (honnêtement, on s'en foutait en fait). Et a la surprise générale (ou pas), le Parlement valide cette proposition en modifiant radicalement son discours : Alors que la proposition (6) expliquait qu'il faudrait encore du temps et de la réflexion avant d'avaliser le projet, cette nouvelle résolution votée le 23 Mars 2011 (7) donne un avis favorable à la procédure (voir paragraphe 14 de la résolution), bien que le Parlement regrette énormément de choses.

Au final, le Parlement a constamment estimé que cette modification du traité ne donnait pas sa place à la Commission et au Parlement, aux institutions européennes en somme. Il a donc demandé à ce que la modification du traité intègre bien plus les institutions communautaires au MES.

Un point critique 

La situation décrite en théorie par le fonctionnement du MES est très sympathique. En effet, étant donné que le MES (et donc les institutions qui y participent, le MESF et le FESF) est garanti par d'énormes sommes d'argent provenant des etats membres, il peut emprunter à bas cout et prêter ainsi à un état qui n'aurait jamais pu trouver de tels taux sur les marchés. 
Il faut comprendre que les institutions qui composent le MES n'ont pas d'argent. Elles ont simplement la garanti des états membres pour un certain montant. C'est à dire que l'état n'a pour l'instant rien donné, et ne donnera peut-être rien si on n'en n'a pas besoin. Si certains expliquent que les états se sont ruinés là dedans, sachons pourtant que pas un euro n'a été dépensé encore (si ce n'est pour payer les fonctionnaires qui y travaillent). 

Lorsqu'un état est en difficulté, les institutions vont emprunter sur le marché, à hauteur de ce qui est garanti par les états, et vont devoir ensuite rembourser les marchés privés. Si tout se passe bien, l'état en difficulté rend l'argent au FESF ou au MESF, et celui-ci rembourse ses créanciers sur les marchés financiers. Si par contre l'état en difficulté venait à ne pas pouvoir rendre ce qu'il doit au FESF, celui-ci doit tout de même rembourser les marchés financiers. et à ce moment là, ce sont les états qui doivent mettre effectivement la main à la poche pour renflouer le FESF. Dans le cas où c'est le MESF qui n'aurait pas été rembourser, c'est le budget de l'Union Européenne qui mettrait la main à la poche.

Conclusion globale

Et voilà ! Vous savez maintenant ce qu'est le Mécanisme Européen de Stabilité. Vous savez qu'il se base sur deux piliers qui sont le Mécanisme Européen de Stabilité Financière (mécanisme qui permet à la commission d'emprunter sur les marchés pour prêter à un état en difficulté), et le Fonds Européen de Stabilité Financière (société anonyme qui peut emprunter sur les marchés et prêter aux états en difficulté). Le premier est un mécanisme communautaire, le deuxième est une institution intergouvernementale. Le premier est doté de garanties s'élevant jusqu'à 90 milliards d'euros, garanties provenant de l'UE et du FMI, et le second de 500 milliards d'euros, garanties provenant, elles, des états membres.

On a aussi compris que ces institutions ne dépensent pas l'argent des états [dans le meilleur des cas] puisque les garanties leur permettent simplement d'emprunter sur les marchés à taux corrects et de prêter à l'état en difficulté à taux avantageux. Lorsque l'état rend l'argent à ces institutions, celles-ci le remboursent aux marchés.

On a aussi compris qu'en cas d'impossibilité pour un état d'honorer ses dettes auprès du MESF ou du FESF, ceux-ci continueront de devoir rembourser les marchés, et les garanties de l'UE ou des états membres seront alors engagées (il faudra que les états, donc les contribuables, donnent l'argent prévu).

Enfin, on comprend aussi qu'une des exigences premières de ce mécanisme européen de stabilité, c'est la conditionnalité des aides accordées, conditionnalités qui portent bien entendu sur l'accord sur un programme d'ajustements structurels [douloureux diront certains] au sein de l'état bénéficiaire de ces aides.

On arrive donc à comprendre exactement ce qu'il se passe en Irlande, et je vous invite (je vais peut-être m'y atteler) à vous renseigner sur ce que sont les réformes structurelles négociées par l'Irlande ou par la Grèce.

Nous pouvons remarquer en guise d'amusement final, que quelque soient les solutions proposées depuis les 3 dernières années et le début de cette crise, elles ont toutes, à un moment donné ou à un autre, bénéficié aux marchés financiers, et que l'option du financement monétaire n'a jamais été avancée. Il est d'ailleurs prévu que le MES intègre à horizon 2013 et sur la base d'un accord du Conseil que le secteur privé pourra prendre pleinement part de ce mécanisme. 

On peut en outre, se demander en quoi cela soit si important de faire cette modification du traité, alors que même sans que celle-ci n'existe, ce MES a pu se mettre en place grâce à des règlements et des accords intergouvernementaux ?

Notes :
(2) Communiqué de presse  du Conseil extraordinaire des 9 et 10 Mai 2010 : http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ecofin/114356.pdf
(3) Règlement (UE) N° 407/2010 du Conseil du 11 mai 2010 établissant un mécanisme européen de stabilisation financière : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2010:118:0001:0004:FR:PDF
(4) Page web du Fonds Européen de Stabilité Financière : http://www.efsf.europa.eu
(7) Résolution du mercredi 23 mars 2011 portant sur la modification du traité sur le fonctionnement de l'union européenne : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&language=FR&reference=P7-TA-2011-0103#BKMD-1

Ressources :
Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2008:115:0047:0199:FR:PDF
Rapport du sénat sur ces questions (très utile pour comprendre) : http://www.senat.fr/rap/l10-166-1/l10-166-12.html#toc24

1 commentaire:

  1. Bonjour, bravo et merci pour toutes ces explications claires & critiques.

    J'aimerai entrer en contact avec vous, pourriez vous me contacter ? (je n'ai pas trouvé d'autre moyen sur le blog que de laisser un commentaire...).

    stan [at] owni [point] fr

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