Pages

dimanche 26 septembre 2010

[Billet] Chroniques transatlantiques #9 (Les institutions transatlantiques)

Dans les précédentes chroniques, il m'arrive de citer des organes tels que le TABD, TACD et d'autres. J'explique souvent de manière assez écourtée ce que sont ces organismes, mais j'ai décidé d'y consacrer une chronique entière.

Nous allons donc voir aujourd'hui la famille institutionnelle qui compose le dialogue transatlantique et qui met en relation les individus du monde professionnel, universitaire, journalistique, législatif des deux côtés de l'Atlantique. Pour cela, nous nous appuierons sur les sites officiels de ces organes, sur ce que l'on en dit au sein des précédentes chroniques, mais aussi des articles trouvés ici ou là.

Le TransAtlantic Business Dialogue (TABD) : Un lobby respecté et écouté

Le TABD (1) est le premier né de la famille institutionnelle transatlantique et rassemble des chefs d'entreprises américaines et européennes. Il né de l'idée du Secrétaire d'Etat au Commerce Américain de l'époque Ron Brown (2), qui, à l'aide de ses homologues de la commission européenne, Martin Bangemann (3) et Leon Brittan (4) voulaient encourager la participation de la société civile à ce processus d'intégration transatlantique.

Les fondateurs du TABD
Ron Brown est un afro-américain qui monte au sein du parti Démocrate, il a bénéficié d'une bourse d'étude Cécile Rhodes, et a fait sa place aux USA jusqu'à être nommé par Clinton comme Secrétaire d'Etat au Commerce en 1993. Avant cela, il avait été embauché par la firme Patton, Boggs et Blow en tant qu'avocat et lobbyiste (source Wikipédia).
Sir Leon Brittan fut le commissaire Européen à la Concurrence de 1989 à 1993, puis il passa ensuite au Commerce de 1993 à 1999, en étant en même temps commissaire aux Relations Extérieures de 1995 à 1999. 
Avant d'avoir été copieusement nommé à la Commission européenne pendant 10 ans, il fut Secrétaire d'Etat Anglais à l'Intérieur (de 1983 à 1985), d'où il fut parachuté Secrétaire d'Etat au Commerce et à l'Industrie. Il démissionnera suite à l'affaire Westland, dans laquelle il fit pression sur une entreprise Anglaise de défense endettées pour qu'elle soit rachetée par un groupe américain plutôt qu'un consortium Européen (5). Et c'est cet homme qui sera tout de suite après nommé à la Commission Européenne par Margaret Thatcher.
C'est un des bras armés de la dame de Fer pour ce qui concerne la libéralisation et le libre-échange, et il expliquera la création du TABD de cette manière : « Avec le gouvernement américain, nous avions demandé aux hommes d’affaires des deux côtés de l’Atlantique de se rassembler pour voir s’ils pouvaient parvenir à un accord sur les prochaines actions à entreprendre. S’ils y parvenaient, les gouvernements auraient du mal à justifier leurs réticences. Le résultat fut spectaculaire. Dirigeants industriels européens et américains demandèrent d’une seule voix une plus grande et plus rapide libéralisation du commerce. Et cela a eu un effet immédiat. » (6).
Martin Bangemann est un homme politique Allemand aujourd'hui retiré de la vie politique. Il fut nommé à la Commission de 1989 jusqu'en 1999 en tant que Commissaire au Marché Intérieur et à l'Industrie, puis à l'Industrie et à la politique d'Information pour finir par gérer les Télécommunications. Il s'affichera d'ailleurs par un clin d'oeil en Juillet 1999 en annonçant qu'il allait rejoindre les rangs de la société Telefonica, un des grands groupes européens du secteur des télécommunications, dont il avait géré les affaires jusqu'alors (7), certains officiels n'hésitant pas à condamner cette "corruption".

Les origines 
Maintenant que nous connaissons les fondateurs du groupe de pression, voyons comment ils s'y sont pris. La légende (le site officiel du TABD) raconte que Ron Brown et ses homologues ont eu l'idée d'intégrer le secteur privé à la discussion sur le rapprochement transatlantique. Pour ce faire, ils ont envoyé un questionnaire commun à plus de 1800 firmes américaines et européennes, leur demandant leurs idées, leurs remarques ainsi que la manière de les engager plus dans le processus. 
C'est sur la base des résultats de cette "enquête" que Xerox et Goldman Sachs International ont proposé de préparer un sommet de hautes personnalités des deux rives à Séville en Novembre 1995.
C'est un véritable succès : Réunis en Novembre, les chefs d'entreprises de firmes très puissantes ont concocté un rapport de 70 recommandations qui sera remis aux chefs de super-états au sommet UE/USA de Madrid peu de temps après. Ces derniers ne manqueront pas d'adopter plusieurs de ces recommandations et de l'inscrire au sein de la déclaration qu'ils feront à l'issu du sommet (voir la Chronique Transatlantique #7 (8)). Le TABD se vente ainsi d'avoir été à l'origine du Nouvel Agenda Transatlantique de 1995. 
C'est dès ce moment que l'Union Européenne et les USA ont officialisé son existence et l'ont intégré au processus de décision euro-atlantique. Depuis lors, chaque sommet UE-USA, le TABD rend ses recommandations aux chefs de gouvernements.
En 2003, le TABD subit une refonte et revient dans un "nouveau format", plus offensif. Son objectif primordial devient la création d'un marché transatlantique sans entraves. Le conseil exécutif décide d'intensifier et d'accélérer le processus d'intégration en doublant le nombre de ses sommets annuels. La nouvelle offensive du TABD sera un succès puisque dès Juin 2004, en Irlande, le sommet UE-USA adopte l'objectif d'une plus grande intégration sous l'impulsion de ces recommandations. En Juin 2005, c'est au sommet de Washington que les deux parties vont créer le Forum de Coopération Réglementaire (dans le but d'effacer les différences réglementaires afin d'abaisser les barrières aux échanges), et le plan commun transatlantique intégrant la lutte contre la contrefaçon et pour la protection de la propriété intellectuelle (ceux qui s'intéressent en ce moment à l'ACTA devraient en être ravis) sera adopté dès 2006. De plus, sous l'impulsion du groupe de pression, les deux acteurs s'engagent à mettre en oeuvre un vaste programme couvrant de nombreux domaines en phase avec les priorités du TABD.
En 2007, sa dernière grande réalisation sera l'adoption de l'Accord Cadre pour la Promotion du Marché Transatlantique (voir Chronique Transatlantique #8 : Le PET de 1998 et l'Accord Cadre de 2007 (9)).

Qui y contribue ?
On note sur le site officiel 19 firmes américaines dont JP Morgan, Microsoft, AT&T, Ford, Coca Cola, Ernst & Young. Côté européen, on trouve 15 firmes dont Airbus, BASF, British American Tobacco, Deutsche Bank, Lafarge, Siemens et Unilever.
Le TABD prend soin de préciser qu'il est financé exclusivement par les sociétés qui le composent.

Le TransAtlantic Environment Dialogue : Une vaste blague

Pas de place pour l'écologie !
En 1995, quand on met en place un Nouvel Agenda Transatlantique, dont le TABD nous dit qu'il est l'origine, on décide de créer des institutions de Dialogue sous la même forme que le TABD (puisque cela a si bien marché !). Ce n'est qu'en 1998, lors du lancement du Partenariat Economique Transatlantique, que l'on décide de la création du TransAtlantic Environment Dialogue (TAED) qui regroupera des ONGs environnementales Américaines et Européennes. Il sera lancé officiellement en 1999. 
Il ne lui sera jamais accordé autant de participation que le TABD, dont le directeur Européen commentait que les industriels perdront tout intérêt pour ce processus "s'ils doivent passer la moitié de l'après-midi assis à argumenter avec des écologistes" (10).
Le TAED perdit le soutien de la Commission Européenne et du gouvernement Américain dès 2000 (11). Un article d'Econosphère nous renseigne sur les raisons de ce manquement : Les USA voulaient se servir du TAED pour casser certaines barrières techniques environnementales ayant court en Europe (comme pour les OGM). Or les ONG américaines qui avaient intégré le Dialogue s'en sont en fait servi pour amener la Commission Européenne a faire pression sur les USA. Ce qui fut mal pris. Dès Novembre 2000, le TAED est désactivé car la partie Américaine des fonds n'était plus accordée (12).
Il m'a fallu chercher et lire énormément pour trouver ces quelques informations, le site du TAED (anciennement http://www.taed.org) n'existe tout simplement pas.

Le TransAtlantic Consumer Dialogue 

Plus que le TAED, mais Moins que le TABD !
Un des autres Dialogues importants au niveau transatlantique est le TACD (13), qui regroupe des ONG de défense du consommateur des deux rives de l'Océan. Ce dialogue est assez écouté des deux gouvernements, et produit des recommandations qu'il soumet chaque année au sommet UE/USA.
Né lui aussi, après le NAT de 1995 et le PET de 1998, il sera lancé en septembre de cette année. Son but est de sensibiliser les gouvernements aux problématiques du consommateur. Il est presque aussi influent que le TABD, et seuls eux deux auront un rôle officiel auprès du futur Conseil Economique Transatlantique créé en 2007.

Membres
Environ 75 regroupements de consommateurs sont présent au sein du TACD et abreuvent les sommets UE-USA de recommandations : 27 venues des USA, dont la Consumer Federation of America, et 49 venues d'Union Européenne parmi lesquelles on connait la Française UFC - Que choisir.

Le TransAtlantic Legislator's Dialogue 

Coopération réglementaire 
Le but du Dialogue Transatlantique des Législateurs (14) est la coopération réglementaire entre les deux entités. Ce dialogue législatif dure depuis déjà 1972 sous la forme de sommets interparlementaires annuels. Après les différentes déclarations qui ont eu lieu dans les années 1990, on créé le TLD en 1999, qui est une réponse directe aux engagements pris de resserrer la coopération parlementaire dans les plans communs de 1995 et 1998. Le lancement officiel a été fait lors de la 50ème rencontre interparlementaire, les 15 et 16 janvier 1999.
Cet organe se réuni lors de sommets bi-annuels, et a pour but de réduire les différences réglementaires et d'échanger les points de vue européens et américains sur les différents domaines de la loi.
C'est grâce à cet organe que l'on arrive à "harmoniser" les réglementations identifiées comme gênantes par les deux acteurs, qui eux-mêmes ne font que suivre les recommandations du TABD.

Vers une Assemblée Transatlantique
C'est dans une résolution du Parlement Européen du 5 juin 2008 (un an après que l'adoption de l'Accord Cadre de 2007) que celui-ci exprime son souhait : au point 36 de la résolution, le parlement demande à ce que l'on renforce les liens transatlantiques "au moyen d'un nouvel accord [...] qui remplacerait le Nouvel Agenda Transatlantique" en précisant que "les échanges interparlementaires existants devraient être progressivement transformés en une Assemblée Transatlantique de fait". Pour revoir cela de plus près, consulter la Chronique Transatlantique #5 (Résolution du 5 juin 2008 sur les relations transatlantiques (15)).

Le TransAtlantic Labour Dialogue 

Presque aussi ignoré que le TAED
Ce Dialogue fut créé pour regrouper les syndicats et les partenaires sociaux au sein d'une instance transatlantique et ainsi leur permettre de peser aussi sur ce processus. Il a été lui aussi lancé en réponse aux engagements pris par les déclarations de 1995 et 1998. Il n'a jamais reçu le même accueil que les autres. 
Il est très dur de trouver des informations sur cet organe qui n'a pas de site internet, mais qui continu d'être actif si l'on en croit le site de l' European Trade Union Confederation (16).

Vers une certaines reconnaissance ?
D'après Econosphère (17), après l'adoption de l'accord Cadre de 2007, le TALD adressait une première requête pour être traité à égalité avec le TACD et le TABD, en étant reconnu officiellement comme "experts" auprès du Conseil Economique Transatlantique (ce dont bénéficiait les consommateurs et les industriels). Selon Bruno Poncelet, ce fut peine perdue car le gouvernement Bush ne voulait pas des syndicats au milieu des négociations transatlantiques. La demande fut rééditée en 2008 et reçut une réponse mitigée. Le TALD ne fait toujours pas partie des organes reconnus officiellement par le Conseil Economique Transatlantique, mais a néanmoins été invité à prendre la parole en octobre 2009, et ses remarques ont été intégrées aux travaux.

Conclusion

Ce que l'on constate à la vue de ces multiples organismes de dialogues, c'est la différence d'influence qui existe entre eux. Le plus connu de ces dialogues est celui des industriels, on trouve un site web très riche, des informations, des actualités, des rapports et des recommandations. Plus important encore, il participe activement à la libéralisation des échanges transatlantiques depuis 1995 et représente officiellement les industriels auprès de l'Union Européenne et des USA en matières de commerce Transatlantique. Les deux acteurs ont pris l'engagement d'obéir aux recommandations faites par le TABD (Leon Brittan l'a si bien dit).
Le TACD, lui, est déjà un peu plus discret, mais affiche tout de même une certaine popularité, un site web bien rempli aussi, et l'information est plutôt simple à trouver de même que son alter-égo Législatif, le TLD, qui est prêt à se transformer bientôt en une véritable Assemblée Parlementaire Transatlantique.
Mais c'est là que les choses se corsent. On a pu voir à quel point l'écologie était un frein à tout ce processus. En effet, le dialogue écologique n'a vécu qu'une courte année, il n'a eu le temps de faire des recommandations que lors d'un seul sommet USA-UE, et a été assassiné par manque de sang [d'argent] tout de suite après. Les précédentes chroniques de ce blog mentionnent l'intention du Parlement Européen de revitaliser ce groupe de dialogue. En attendant, les informations sont très dures à trouver.
Le dialogue des partenaires sociaux n'a pas non plus été écouté comme il le devrait. On ne trouve aucune information sur ce groupe sur Internet, sauf par d'autres sites de syndicats européens comme l'ETUC, qui a l'air d'être le seul intéressé à ce processus. On peut noter tout de même que le Conseil Economique Transatlantique qui sera l'objet d'une courte chronique prochainement commence à s'intéresser à son travail.

On peut aisément se dire que tout cela est plutôt sein, que l'on encourage la société civile à participer au processus, et que c'est en quelques sortes, démocratique. Il n'en est rien. Tous ces dialogues sont intéressants, ils permettent d'échanger entre citoyens, travailleurs, ONGs, et industriels, mais tout cela ne fait qu'apporter un vernis démocratique à un processus qui l'est beaucoup moins ! 
Aurait-on discuté ces dernières années d'une intégration plus poussée avec les USA ? D'un marché commun ? La population est-elle au courant et en pleine possession des informations ? Il ne semble pas que cela soit le cas. On expliquera donc plus tard, une fois mis devant le fait accompli que ce sont les peuples qui ont voulu cette intégration, et on prendra soin de préciser qu'il y avait même des syndicalistes parmi les gens soutenant ce projet.

Notes :
(1) Site officiel du TABDhttp://www.tabd.com/
(2) Page Wikipédia de Ron Brownhttp://en.wikipedia.org/wiki/Ron_Brown_(U.S._politician)
(3) Page Wikipédia de Leon Brittanhttp://en.wikipedia.org/wiki/Leon_Brittan
(4) Page Wikipédia de Martin Bangemannhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Bangemann
(5) Page Wikipédia de l'Affaire Westlandhttp://en.wikipedia.org/wiki/Westland_affair
(6) Les dessous de Bruxelles, Leon Brittan, un AMI qui vous veut du bien http://ellynn.fr/dessousdebruxelles/spip.php?article129
(7) Libération.fr, Le Commissaire européen rejoint Telefonica, le douteux pantoufflage de Martin Bangemann http://www.liberation.fr/economie/0101287991-le-commissaire-europeen-aux-telecoms-rejoint-telefonica-le-douteux-pantouflage-de-martin-bangemann
(8) La Théorie du Tout, Chronique Transatlantique #7 (Plan d'Action Commun et Nouvel Agenda Transatlantique, 1995) http://theorie-du-tout.blogspot.com/2010/09/billet-chroniques-transatlantiques-7.html
(9) La Théorie du Tout, Chronique Transatlantique #8 (Le PET et l'Accord Cadre de 2007) http://theorie-du-tout.blogspot.com/2010/09/billet-chroniques-transatlantiques-8.html
(10) Europe Inc. Transatlantic Business Dialogue : Dialogue au dessus de la démocratie : http://dessousdebruxelles.ellynn.fr/spip.php?article33
(11) Archives EurActiv, Transatlantic Environment Dialogue suspended, 23 novembre 2000 : http://www.euractiv.com/en/climate-environment/transatlantic-environment-dialogue-suspended/article-115699
(12) The Streit Concil, about TAED http://streitcouncil.org/index.php?page=transatlantic-dialogues#TAED
(13) Site officiel du TACDhttp://tacd.org/index.php?option=com_frontpage&Itemid=1
(14) Site officiel du TLDhttp://www.europarl.europa.eu/intcoop/tld/default_en.htm
(15) La Théorie du Tout, Chroniques Transatlantiques #5, Résolution du 5 Juin 2008 sur les relations transatlantiques : http://theorie-du-tout.blogspot.com/2010/08/billet-chroniques-transatlantiques-5.html
(16) Site de la Confédération Européenne des Travailleurs, section "Dialogue Transatlantique" http://www.etuc.org/r/320
(17) Econosphères, Bruno Poncelethttp://www.econospheres.be/spip.php?auteur29

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire