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jeudi 13 mai 2010

[Billet] La fin de leur monde

Non ce n'est pas du IAM que l'on va chanter.

Cette semaine a été très lourde en termes d'actualités économique. Si lourde que je n'ai pas pu tout suivre. Quoiqu'il en soit, on ne se rend pas compte à quel point le chaos est présent. J'admire le stoïcisme des médias et leur sens de la mesure.


Attention, on descend !

Jeudi dernier, c'était Jeudi noir à Wall Street. L'indice DOW est tombé de près de 1000 points, soit environ 9% de sa valeur en quelques minutes. C'était l'apocalypse dans les salles, mais sans rien n'y comprendre, on a vu remonter l'indice de 600 points quelques minutes plus tard. A en croire notre ami Jovanovic, c'était une manoeuvre de très grande ampleur, et on le comprend bien : imaginez qu'un objet qui vaut 100€ passe à 90€ en quelques minutes, puis remonte à environ 95€ encore en quelques instants. L'indice a provoqué une certaine instabilité sur les marchés donc. Depuis, la presse se pose des questions sur ce qui aurait pu produire un tel choc.

Nombre de rédactions se dirigent sur l'hypothèse de l'erreur humaine. Certains expliquent qu'un trader aurait écrit "milliards" au lieu de "millions" en envoyant son offre sur une valeur phare de l'indice (voir Le Figaro (1) ou encore le Point (2) ou encore l'article très bien fait de CNBC (3)).


On peut lire sur www.quotidien.com l'avis de Jovanovic sur ce point :
1) une grave erreur du logiciel du NYSE;
2) erreur, pas erreur, peu importe, il y a eu vente massive de mini-ordres de la Citi pour 9 milliards de dollars, et qui a tout racheté ensuite;
3) une manipulation violente du marché, volontaire;
4) ajoutez à cela le résultat de tous les systèmes d'intelligence artificelle, les flash trades, qui vendent quand il faut vendre, tout seuls, et ensuite ils rachètent automatiquement, surtout hier à cause de la hausse soudaine du dollar.
5) le marché allait progressivement vers le mini-crash, et il a été sauvé par une injection massive. Ne pas oublier: Ben Bernanke avait bien dit qu'il n'hésiterait pas à balancer des dollars par hélico s'il le fallait pour sauver les marchés.
6) une opération préparée par des dizaines de milliers de boursicoteurs indépendants en ligne qui ne dépendent pas du système NYSE, et dont les ordres sont pris en compte en temps réel séparément.
7) tout a été normal, le Dow a bien explosé en plein vol, récupéré in extremis par le système et Ben Bernanke.

En gros, cela reste incompréhensible. Et d'ailleurs, on continue à se poser des questions (voir le NY Times (4)). Ce qui est beau dans tout cela, c'est que vous allez voir quelque chose de très étrange, qui peut même paraitre bizarre : La panique était tellement grande, que le Nasdaq a expliqué qu'ils allaient annuler les ordres exécutés dans cette période de temps et dont les variations sont supérieures à 60% (voir Reuters (5)). 
Annuler des commandes. La liberté et le laisser-faire seraient-ils en train de s'effriter ?

Vous n'y croyez toujours pas ? Et bien la revue de presse internationale de cette semaine nous en a ramené une très bonne : Les indices seront maintenant mieux "protégés". Le NYPost (6) nous apprend donc que l'on va mettre en place des mécanisme qu'on appelle "circuits breakers" qui vont ralentir ce genre de chutes .. 
Mais c'est moi où on commence à réguler ?! Bon par contre ça ne marche que pour la chute des valeurs  et non pas pour la montée (quand on peut se faire de l'argent, on crache pas dessus). La loi du marché, de l'offre et de la demande ? Qu'est-ce qu'ils en font ? On nous aurait menti ?

Bien sur une régulation est nécessaire, d'autant que le NYPost nous montre dans ce même article, qu'on ne sait vraiment toujours  pas ce qu'il s'est réellement passé, mais que plutôt qu'une erreur humaine, on privilégie plutôt la piste des circuits de transactions informatiques ultra précis :
Investigators still believe that the problem in trading was likely the result of high-volume trades being driven by computer programs that were searching for other exchanges in which to place orders as a result of the drying up of liquidity.
Des ordinateurs qui discutent entre eux et qui peuvent vendre ou acheter en moins d'un fragment de seconde, en accord avec d'autres, sur des critères plus ou moins précis. Imaginez  qu'une faille de ce système, qu'on peut effectivement qualifier de Matrice qui gère pour les humains les transactions d'obligations et d'actions, affectant aussi (à ne pas oublier) l'économie réelle, puisse exister ...

Quoiqu'il en soit, on a vu une annulation des ordres par le Nasdaq, la volonté de créer des "bloqueurs" de chute, la liberté et la loi du marché ont été mises à mal par l'instabilité qui règne en ce moment dans les salles.

Européens, couchez-vous, les marchés vous roulent dessus :
Ce n'est pas tout. Dans l'actualité de cette dernière semaine, il y a aussi la chute spectaculaire de vendredi dernier. On a enregistré des chutes de 15% sur certaines valeurs dont le CAC 40, on a vu les places européennes tomber. C'était le déluge. A tel point, que le week end aura donné lieu à une réunion entre les ministres de la zone euro (et d'autres). Un plan a été décidé pour prévenir les problèmes de défaut de paiement et de spéculation sur les dettes souveraines en Zone Euro (7).

Autant vous dire que l'on a mangé. En effet, nos dirigeants se sont mis d'accord sur pas moins de 750 milliards d'euros. La création d'un "fond européen pour prévenir les crises". Pire que tout, parmi ces 750 milliards, on en trouve une bonne partie qui viendrait ... du Fond Monétaire International. 
Voilà donc clairement l'Union Européenne en cohérence et en dépendance de cette pieuvre tentaculaire qui envahit toute société en difficulté pour l'asservir. Enfin là n'est pas le débat. Comme le notait Monsieur Mélenchon (qui décidément a de l'esprit) : "On vient de retrouver 750 milliards d'euros, on les avait pas hein, mais là c'est bon on les a trouvé !".

Ce qui m'intéresse dans ce plan, ce n'est pas ce premier volet : Qu'on s'endette encore et encore alors que le problème au niveau des marchés c'est justement qu'on serait soit disant trop endettés, c'est complètement con mais après tout, ça change pas de tout ce qu'ils ont fait depuis le début de cette crise (et même avant ...). 
Non ce qui m'intéresse, c'est cette décision étrange, mais révélatrice de l'ineptie de ces traités européens (oui, j'incrimine maintenant mon article préféré des dispositions de Maastricht, notre cher article 104, devenu article 123 du nouveau traité consolidé après Lisbonne) : La BCE va racheter de la dette souveraine. Mais, bien entendu, vu que les traités sont bien faits, elle n'en n'a pas le droit, du moins, pas directement.

L'article 123 de Lisbonne interdit à la banque centrale d'acquerir aurpès du trésor des états membres les instruments de leurs dettes. En clair, la BCE et les Banques centrales nationales n'ont pas le droit de financer les états en leur achetant des obligations. Donc même avec ce plan gigantesque lancé ce week end, la BCE ne pourra toujours pas acheter directement de la dette aux états, mais les achètera tout de même sur le marché secondaire.

Trois remarques : 
  • On nous fait croire que c'est une nouveauté hallucinante, alors que Frédéric Lordon nous apprenait il y a peu que cela se fait très régulièrement lors d'opérations de refinancement des banques européennes auprès de la banque centrale (Les banques demandent des liquidités à la BCE en échange d'obligations et de titres de dettes souveraines, la BCE est donc indirectement acheteuse des instruments de la dette), lire l'article de Frédéric Lordon "Financement Obligataire contre Financement Monétaire" (8);
  • Ou oublie sciemment de nous expliquer qu'en principe, l'avantage d'emprunter à sa banque centrale, c'est qu'on n'a pas de taux d'intérêt à payer, ou très peu. Or ici, malgré l'achat de bons du trésors par la BCE, elle devra passer par les marchés pour les trouver, donc par les banques qui auront acheté auparavant ces obligations, et qui touchent donc un juteux taux d'intérêt (qu'on prélève sur vos impôts);
  • D'un façon pragmatique, ce plan est parfait : On a institutionnalisé le rachat de titres de dettes par la BCE au moment où l'on craint le plus ... un défaut de paiement ! Vous vous souvenez de la formule qui a été très utilisée durant la crise bancaire de 2008 : On privatise les gains, et on nationalise les pertes. Et bien aujourd'hui, nous allons supra-nationaliser les pertes.
    Imaginez : Un acteur économique quelconque achète un bon du trésor Grec ou Espagnol, mais sentant la tempête venir, le mauvais choix qu'il a fait (son bon sent mauvais maintenant, il sera très dur de le vendre sur le marché, surtout au vu des dernières baisses des notations) devrait le contraindre à perdre de l'argent. Et Non ! C'est là que c'est magique. Il revend son bon à la banque centrale européenne, qui a maintenant annoncé qu'elle le ferait. Et vous verrez dans 6 mois, le défaut de paiement Grec ne gênera pas les marchés outre mesure, vu que les banques se seront débarrassées de toute cette graisse (sans mauvais jeu de mot) auprès de la BCE.
Malgré tout, encore une fois que remarque-t-on ? Les dogmes sautent. La banque centrale qui rachète des obligations ? C'était quelque chose qu'on nous montrait comme une horreur. La création monétaire ? La planche à billets ? Et bien messieurs dames, vous y êtes. La Banque Centrale Européenne créé de la monnaie, en achetant des titres de dette sur le marché bancaire. 
Bien sur, elle ne les achète pas DIRECTEMENT aux états, ce qui aurait pour conséquence de nous permettre d'emprunter sans intérêts, sans dépendre des vampires du marché globalisé. Et vous comprenez bien que ce n'est pas le but de la Banque Centrale Européenne et des institutions mondiales de nous laisser nous emprunter à nous même à taux réduit. 

Magnifique semaine donc, tant par l'intensité des informations que l'on a eu, que par l'avancée qui se fait en termes de décapitation des dogmes. Un jour, croyez le bien, nous ne passerons plus par les banques pour emprunter. On peut pour cela demander à monsieur Edison ce qu'il pense du financement monétaire par la banque centrale (9) :


Thomas Edison, dans une interview publiée dans le NY Times en 1928, alors qu'il était de retour d'une inspection à la centrale électrique "Muscle Shoals", en construction sur la rivière Tenesse :
Si la monnaie est émise par la nation, 30 millions de dollars pour le financement de Muscle Shoals, ce sera la bonne chose à faire. Une fois cette méthode d'émettre l'argent pour les développements publics essayée, le pays ne retournera jamais à la méthode des obligations [...] Maintenant, il y a Ford qui propose de financer Muscle Shoals par une émission de monnaie (au lieu d'obligations). Très bien ! Supposons un instant que le congrés suive sa proposition. personnellement je ne pense qu'il ait assez d'imagination pour le faire, mais supposons qu'il l'ait. La somme requise sera émise directement par le gouvernement, comme toute monnaie doit l'être [...] Lorsque les travaileurs seront payés, ils recevront ces billets des Etats-Unis [...] Ils seront basés sur la richesse publique existant déjà à Muscle Shoals; ils seront retirés de la circulation par les salaires et bénéfices de la centrale électrique. Ainsi, le peuple des Etats Unis recevra tout ce qu'il aura mis dans Muscle Shoals et tout ce qu'il pourra y mettre durant des siècles... le pouvoir sans fin de la rivière Tennessee... sans taxes et sans augmentation de la dette nationale.
Mais supposez que le Congres ne suive pas la proposition d'Henry Ford, qu'arrivera-t-il ? demanda-t-on à Edison :
Alors le congres devra retourner à l'ancienne méthode. Il devra autoriser une émission d'obligations. Autrement dit, il devra aller chez les prêteurs d'argent et emprunter assez de notre propre monnaie nationale pour achever ces travaux et nous devrons payer de l'intérêt aux prêteurs d'argent pour l'usage de notre propre argent. De cette manière, chaque fois que nous voulons augmenter la richesse nationale, nous sommes forcer d'augmenter la dette nationale. C'est ce qu'Henry Ford veut empêcher. Il pense que c'est stupide, et je le pense aussi, que pour le prêt de 30 millions de son propre argent, le peuple des Etats-Unis soit obligé de payer 66 millions le montant total à payer avec les intérêts. Des gens qui n'ont pas levé une pelle de terre ni contribué pour une seule livre de matériel, vont ramasser plus d'argent des Etats-Unis que le peuple qui a fourni les matériaux et le travail.
C'est ce qui est terrible avec l'intérêt. Dans toutes nos importantes émissions d'obligations, l'intérêt à payer est toujours plus gros que le capital. Tous nos grands travaux publics coutent plus de deux fois le cout réel. Tout le problème est là [...] Il est absurde  de dire  que notre pays peut émettre 30 millions $ en obligations et pas 30 $ en monnaie. Les deux sont des promesses de payer, mais l'un engraisse les usuriers et l'autre aiderait le peuple. Si l'argent émis par le gouvernement n'était pas bon, alors les obligations ne seraient pas bonnes non plus. C'est une situation terrible lorsque le gouvernement, pour augmenter la richesse nationale, doit s'endetter et s'obliger à payer des intérêts ruineux à des hommes qui controlent la valeur fictive de l'or (à l'époque la valeur du dollar était encore garantie par l'or).
(1) La crise, provoquée par une erreur humaine ? (Le Figaro) : http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2010/05/06/97002-20100506FILWWW00797-chute-du-dow-jones-erreur-humaine.php
(2) La crise, provoquée par une erreur humaine ? (Le Point) : http://www.lepoint.fr/actualites-economie/2010-05-07/chute-du-dow-jones-panique-a-wall-street-le-trader-a-t-il-confondu-millions-et/916/0/452262
(3) La crise, provoquée par une erreur humaine ? (CNBC) : http://www.cnbc.com/id/36999483
(4) Origin of Wall Street’s Plunge Continues to Elude Officials : http://www.nytimes.com/2010/05/08/business/08trading.html?ref=business
(5) Le Nasdaq annule des commandes : http://www.reuters.com/article/idUSTRE6456QB20100507
(6) Wall Street va mettre en place des ralentisseurs : http://www.nypost.com/p/news/business/exchanges_eye_uniform_circuit_breakers_Q67Z95hD1W7jATEfzMAltL
(7) Synthèse du Plan Européen : http://www.euroinvestor.fr/news/story.aspx?id=11051507
(8) La Théorie du Tout : Financement obligataire contre Financement monétaire (Frédéric Lordon, Le Monde Diplomatique) : http://theorie-du-tout.blogspot.com/2010/05/frederic-lordon-au-dela-de-la-grece.html

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