Cet article relate une discussion entre VGE et A-J Holbecq sur la loi du 3 janvier 1973, qui, pour rappel, empêche l'Etat Français d'emprunter à taux zéro à la banque centrale, et l'oblige donc à se tourner vers le "marché des obligations", dans lequel les emprunts qu'il fait sont soumis aux taux d'intérêts en vigueur ...
André-Jacques Holbecq :
Monsieur le Président
Si j'avais trouvé une adresse courriel directe, j'aurais pu éviter de passer par ce blog. J'espère que votre équipe vous transmettra la question qui suit, et que vous pourrez me répondre directement.
Le 3 janvier 1973, sous la présidence de Georges Pompidou, alors que vous étiez Ministre de Finances, est entrée en application une réforme importante des statuts de la Banque de France, dans lequel nous trouvons ce très court article 25 ; « le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France », autrement dit fut bloqué à ce moment toute possibilité de crédit de la Banque de France au Trésor, et ici se trouve l'origine de la dette des administrations publiques dans notre pays laquelle atteint maintenant plus de 1200 milliards (au seul sens de Maastricht), et nous ponctionne collectivement de plus de 40 milliards d'intérêts par an, payés aux "déjà plus riches".
J'aimerais que vous m'expliquiez, sans langue de bois, quel fut, à l'époque, la justification de ce changement de cap qui nous ligote sous la coupe des banques privées.
Avec ma considération la plus distinguée
Valéry Giscard d'Estaing :
La réforme des statuts de la Banque de France, adoptée sous le mandat de Georges Pompidou et lorsque j'étais Ministre des Finances, est une réforme moderne qui a transposé en France la pratique en vigueur dans tous les grands pays : il s'agissait à l'époque de constituer un véritable marché des titres à court, moyen et long terme, qu'il soit émis par une entité privée ou publique.
La possibilité du prêt direct de la Banque de France au Trésor public a généré partout où il fut appliqué une situation d'inflation monétaire permanente. Votre remarque sur l'endettement public est inexacte et révélatrice : vous semblez penser qu'une dette du Trésor public envers la Banque de France ne serait pas décomptée comme faisant partie de la dette de l'administration publique. En réalité, il y a dans ce domaine des règles bien connues qui définissent le montant des avances et prêts de l'institut d'émission en faveur du Trésor public, avances et prêts qui ont évidemment vocation à être remboursés et qui figurent de ce fait dans le montant de la dette publique. Ce que vous supposez consiste à dire qu'on aurait pu remplacer un endettement visible et structuré par une simple émission monétaire. Mais ce serait ouvrir les bras au retour à l'inflation des années 1950.
André-Jacques Holbecq :
Merci pour votre réponse, mais je ne suis évidemment pas du tout d'accord avec vos arguments. Il a bien fallu de l'émsion monétaire (par le "crédit" des banques privées (augmentation de M1 sur une pente de 10% annuelle, sans inflation), pour que les prêteurs puissent prêter à l'Etat français. La grosse différence avec un prêt direct de la Banque Centrale aux collectivités, est simplement que dans ce dernier cas les intérêts seraient revenus à la Banque Centrale (et donc, in fine, à la collectivité).
J'ai calculé (mon dernier livre " La dette pubique, une affaire rentable") qu'entre 1980 et 2006, c'est plus de 1100 milliards d'euros (valeur 2006) d'INTERETS que nous avons payés aux déjà plus riches...
Je trouve que votre décision de 1973 a été une trahison - voulue ou non - envers les français... pas tous, il est vrai.
Reprenons en détail votre réponse :
Vous me prêtez des propos que je n’ai pas tenus en écrivant « vous semblez penser qu'une dette du Trésor public envers la Banque de France ne serait pas décomptée comme faisant partie de la dette de l'administration publique. »
Mon propos ne porte pas sur le capital, mais sur les intérêts et je n’ai pas pensé qu'une dette du Trésor public envers la Banque de France ne serait pas – nécessairement - décomptée comme faisant partie de la dette de l'administration publique.. . mais c’est aussi, lorsque nécessaire, un moyen comme un autre d’émission monétaire au fur et à mesure des besoins induits par la croissance.
Vous écrivez également : « : il s'agissait à l'époque de constituer un véritable marché des titres à court, moyen et long terme, «
J’ai effectivement bien compris cette position. Au lieu de faire financer les besoins des collectivités publiques (l cas échéant en faisant la différence entre besoins financiers de fonctionnement et besoins d’investissements) par une augmentation de la fiscalité ou un prêt de la Banque Centrale, on s’adresse au privé et la collectivité paye donc des intérêts à ces prêteurs. Et tant pis si le payement par l’Etat des intérêts, s’il avait été au bénéfice de la Banque Centrale, aurait permis de bénéficier in fine de prêts sans intérêt : comme je le disais dans la réponse précédente, c’est plus de 1100 milliards d’euros en 25 ans que la collectivité aurait économisé si ces intérêts lui avaient été restitués.
Vous me répondez d’autre part « Ce que vous supposez consiste à dire qu'on aurait pu remplacer un endettement visible et structuré par une simple émission monétaire. »
Que le prêt au Trésor Public soit direct par la Banque Centrale ou non, car issu de crédits (demande de monnaie ) par les banques commerciales, il y a bien une émission monétaire équivalente correspondante à l’origine.
On aurait pu (plus précisément, « vous auriez pu »), pour économiser le payement d’intérêts, remplacer un « endettement visible et structuré » auprès des détenteurs de capitaux, par un « endettement visible et structuré » auprès de la banque de France, quitte à encadrer les règles d’émission, par exemple au seuls besoins de financement des investissements, en conservant le financement du fonctionnement de l’Etat et des collectivités (y compris, si on veut, les amortissements) par les recettes fiscales.
Vous auriez pu aussi, lorsque vous avez pris les habits de Président, faire modifier cet article 25 de la loi du 3 janvier 1973 que vous aviez signée et qui interdisait au Trésor public d’être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France. Un calcul simple montre bien que, sans le poids des intérêts sur la dette publique, les soldes des budgets seraient restés positifs pendant toute la période 1980-2005, sauf pour les années 1992 à 1996 et 2002 à 2005, au lieu d’être négatifs.
Quand à l’inflation des années 50, je déduis des données de « déflation par l'indice général des prix à la consommation » de l’INSEE que :
- l’inflation entre 1950 et 1959 à suivi annuellement les taux suivants 9,4 / 16,4 / 12,3 / -1,7 / 0,0 / 0,9 / 4,5 / 2,8 / 15,1 / 6,9
- l’inflation entre 1960 et 1972 à suivi annuellement les taux suivants, très « raisonnables » 3,2 / 3,3 / 4,8 / 4,8 / 3,4 / 2,5 / 2,7 / 2,7 / 4,5 / 6,4 / 5,2 / 5,7 / 6,2 /
Je remarque également qu’à partir de 1973, ces taux augmentent rapidement (près de 14% en 1974) et restent au dessus de 8% jusqu’en 1984 … oh, je sais, la «première crise pétrolière… » … Je ne crois donc pas que votre justification « Mais ce serait ouvrir les bras au retour à l'inflation des années 1950 » soit la bonne.
Avec mes salutatons distinguées
Samuel :
Monsieur le Président,
votre réponse à A-J Holbecq me parait pour le moins insatisfaisante.
Vous répondez à celui-ci comme si la masse de monnaie fiduciaire ne devait pas être accrue. Vous parlez de la nécessité de remboursement d'une "dette" comme d'une évidence, alors qu'en l'espèce, la notion de dette, purement comptable, renvoie à une planification qui ne suppose pas nécessairement un remboursement complet, suivant l'évolution de la croissance escomptée (du moins observée) et suivant la politique fiscale conduite ensuite, encore moins des intérêts versés par nous à des prêteurs privés.
Vous négligez de rappeler un théorème élémentaire : quand on vise une inflation nulle, la création monétaire souhaitable n'est pas nulle, mais égale à la croissance du PIB (anticipée ou supposée courante). Il faut donc que quelqu'un crée cette monnaie.
Or, le bon sens veut que ce soit le pouvoir le moins incontrôlé parmi ceux supposés être au service du peuple qui le fasse. Et que le régime monétaire soit conforme à la constitution, qui interdit les privilèges. Vous n'ignorez pas que la constitution française (art. 34), comme celle des États-unis (I sect. 8) confie (confiait) au parlement élu au suffrage universel le contrôle du régime d'émission de la monnaie. Au lendemain du 4 janvier 1973, le Parlement pouvait au moins revoir sa loi, ce pourquoi le Conseil constitutionnel a admis (en 1994) qu'un tel transfert était conforme à la constitution. Mais dans le cadre de l'Union européenne, il ne le peut plus en pratique, sauf à décider que la France sorte purement et simplement de cette entité intergouvernementale mutée en confédération qui viole les règles élémentaires de la séparation des pouvoirs (sans parler de souveraineté populaire).
En tant que membre du Conseil constitutionnel, en tant d'ancien garant de la continuité de l'État, comment pouvez vous tolérer une situation ou la "séparation des pouvoirs", qui signifie leur arrêt mutuel, soit traduite en pure indépendance politique ?
Vous ne rappelez pas non plus un fait évident que vous ne pouvez pas ignorer (et plus dénoncer, il est vrai) : de manière chronique, depuis sa création, la BCE émet environ 10% de monnaie supplémentaire par an, ce qui est assez considérable, au demeurant. Manifestement, la rigueur ne vaut que pour la politique budgétaire.
Vous savez aussi, sans doute, que la Banque de France en dit que la part superflue de l'émission gonfle les bulles spéculatives, financières et immobilière. De fait, depuis des années, le crédit bancaire et, plus généralement, le volume des titres dérivés de la monnaie, est en croissance effrénée. Or, le résultat en termes d'inflation, on le voit quand ces bulles explosent : les financiers les plus équipés courent vers les valeurs "refuge" (celles qui font manger le peuple et produire).
La partie de votre réponse qui me parait être pertinente - relative au projet de marché des titres (traduisons : des dettes) - me parait effrayante, tant elle suppose la résignation (il y a 35 ans déjà) du politique face au projet global d'un marché supposé pur réglant toute chose, économique, politique et sociale. En somme, l'État et le privé se sont accordés pour faire de la monnaie une marchandise, dont la valeur ne serait plus fixée, désormais, que par la loi de l'offre et de la demande. Une loi que ne viendrait plus perturber un "interventionnisme"... qui consistait depuis longtemps, pour l'État, a émettre une quantité marginale de la monnaie, tandis que les banques commerciales émettaient "le reste". Le record de la part d'émission d'origine publique, il me semble, a été établi par le général De Gaulle. Cette part (la seule légitime à mon sens) a été très variable, et très souvent bien faible. La Banque de France était d'ailleurs, depuis son origine et plus d'un siècle durant, une Banque privée, dont les propriétaires reçurent de la part de Napoléon le privilège inouï que confère l'exclusivité du pouvoir de battre la monnaie qui seule a cours légal et forcé.
Pour finir, il semblerait que le propos de A.J. Holbecq et l'inadéquation de votre réponse trouvent une illustration frappante dans ce passage lu dans Le Monde Diplomatique, (n° 652, juillet 2008, page 7) : " …l’un des plus célèbres emprunts d’État fut l’emprunt Giscard (…). Pour 6 milliards de francs empruntés en 1973, l’Etat a finalement remboursé au total (montant initial plus intérêts) 80 milliards de francs en 1988."
Vue la situation dramatique que nous apporte la crise financière actuelle ; vue les conséquences désastreuses qu'ont toute forme d'impérialisme sur la démocratie et sur la paix, il n'est jamais trop tard pour reconnaitre ses erreurs et constater que le temps presse.
Avec mes salutations respectueuses.
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